La Falunière de Grignon

GRIGNON, UNE PLAGE TROPICALE…

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Exposition Palais de la Découverte 1995

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« Dans leur fondamentale ‘Description géologique des environs de Paris’, Cuvier et Brongniart ont un long chapitre sur le gisement de Grignon, et depuis eux toutes les personnes qui s’occupent de géologie ou de paléontologie ont été, au moins une fois, faire un pèlerinage à cette espèce de terre sainte de la Science. »

Stanislas Meunier – extrait de l’article « La falunière de Grignon » paru dans le n° 1292 du 5 mars 1898 de la Revue « La nature ».

A l’approche des anciens rivages, notamment à Grignon, les bancs calcaires qui recouvrent le Bassin Parisien font place à un faciès non consolidé constitué de sables coquilliers ou faluns (Falun : roche sédimentaire formée d’amas de coquilles).

Lepidochitona grignonensis décrite par Lamarck en 1804, Diplodonta grignonensis par Deshayes en 1858, Trapezium grignonensis et Cirsochilus grignonensis par Deshayes en 1863, Triphora grignonensis par Deshayes en 1865, Amaea grignonensis par De Boury en 1888, Tripia inflexa grignonensis par Cossmann en 1889…Comment interpréter cette liste des espèces fossiles qui font toutes référence au site de leur découverte ?

La falunière de Grignon – carte postale ancienne

Manifestement de nombreux scientifiques ont travaillé dans la falunière, étudié les différentes espèces découvertes, et leurs travaux se sont étendus sur une large période, dont on peut dire qu’elle se poursuit encore de nos jours.

                              SOMMAIRE

** Evocations de Grignon dans le passé  **  Accidents mortels dans la falunière **  D'innombrables témoins  **  Une faune marine exceptionnelle  **  L'intérêt géologique de Grignon  **  Environnement géologique et coupes du site  **  Composition du terrain et fossiles caractéristiques

Evocations de Grignon dans le passé

En effet la falunière de Grignon est mondialement connue depuis le milieu du XVIIIème siècle. Jacques-Tranquillain Féret, apothicaire installé à Dieppe et naturaliste possédant un célèbre Cabinet de Curiosités, écrit le 5 mars 1753 au Comte de Tressan :

« Je ne vous ai point envoyé des fossiles de Courtagnon, de Villarseau, de la Garenne des Boves, de Chaumont, de Magny et de Grignon qui sont à peu près les mêmes que ceux de Champagne ; les ayant examinés sur les lieux au mois de septembre, accompagné de M. Bernard de Jussieu et Rouelle… »

 Fac-similé de la lettre au comte de Tressan.

Dans son livre L’Oryctologie paru en 1755 Antoine Joseph Dezallier d’Argenville, naturaliste, collaborateur de l’Encyclopédie, grand amateur de Cabinets de Curiosités, écrit :

« Les environs de Verſailles offrent aux Curieux un bois pétrifié, où d’aſſez gros buccins ſe ſont incruſtés ; la terre de Grignon près de la même ville, a des ſablonnieres en maſſe & fort élevées, toutes remplies de foſſiles de différens genres, ils ſont petits & tout blancs. On y trouve principalement des rochers, des buccins, des vis, des cames, des limaçons à bouche applatie, tels que l’éperon, des tellines, des tonnes, comme la harpe, la porcelaine, le bonnet chinois ou cabuchon, des poulettes & des boucardes* ».

En 1759 J.E Guettard dans son mémoire « Sur les accidents des Coquilles fossiles, comparés à ceux qui arrivent aux Coquilles qu’on trouve maintenant dans la Mer » remis à l’Académie des Sciences signale en note ( a ) page 47 : 

« Depuis la compoſition de ce Mémoire, j’ai vu une fripière [Xenophora] qui étoit dans ce cas : elle étoit chargée de morceaux fruſtes [frustes] de différentes cames , & de buccins qui avoient été considérables par la grandeur : j’en ai vu une autre où les coquilles étoient mêlées avec des cailloux » puis page 49 : « On trouve de ces coquilles nues où chargées de corps étrangers à Courtagnon, à Grignon & à Chaumont en Vexin… « 

La falunière a servi de  base à de nombreux travaux scientifiques  et a permis d’élaborer ou de vérifier certaines hypothèses. Ainsi Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) et Georges Cuvier (1769-1832), tous deux professeurs au MNHN à la même époque en ont déduit leurs théories opposées de l’évolution. La première coupe du site est établie par Cuvier et Brongniart en 1810. En 1900, Stanislas Meunier fit exécuter des fouilles pour la visite du Congrès international de Géologie et établit un plan géologique du parc de Grignon, reproduit par P.H.Fritel en 1910 dans le « guide géologique de la région parisienne ».

De vieilles photographies nous montrent les « coquillards » en blouse à l’œuvre au flanc de la falunière, qui à cette l’époque, était située à l’emplacement de l’actuel manège hippique.

Quelques cartes postales anciennes représentant la falunière :

Accidents mortels dans la falunière

>> Pour mémoire : deux accidents mortels ont eu lieu lors de recherches de fossiles dans l’enceinte du domaine : l’un en 1867 dans l’ancienne falunière (emplacement de l’actuel manège équestre), provoqué par un éboulement du front de taille.

« L’ardeur des chercheurs est à peine modérée par l’avertissement du danger que leur fait courir la nature ébouleuse des sables et par la présence, à quelques mètres, d’un monument funèbre élevé à la mémoire d’un élève de Grignon qui naguère fut enseveli en poursuivant des coquilles. » Stanislas Meunier, Excursions géologiques en France – 1882. 

Ou cette autre relation par le même Stanislas Meunier :

« Comme le montre notre dessin la falunière est en plein bois ; on y arrive par de belles allées ombragées par des hêtres, des ormes séculaires, et dès les premiers pas on est frappé des coquilles fossiles sur lesquelles on marche et qui proviennent de la carrière. Celle-ci profonde d’une dizaine de mètres, a des fronts de taille qu’on s’attache à tenir aussi propres, aussi verticaux que possible, mais qui s’éboulent de temps en temps et amènent à la chute successive de quelques arbres poussant sur le bord. Il faut de la prudence pour exploiter le sable, il en faut pour y rechercher les fossiles et l’on a malheureusement à rappeler, qu’il y a déjà bien longtemps d’ailleurs, un élève de l’Ecole a péri victime de son gout pour la paléontologie sous un écroulement de terrain. Une petite colonne, située dans le parc réservé au Directeur, consacre le triste souvenir de cette catastrophe. » 

La stèle qui perpétue le souvenir de cet accident est située à l’entrée du chemin qui mène à la falunière. 

L’autre accident a eu lieu en 1976 dans la falunière actuelle : un professeur a été enseveli avec 2 de ses élèves dans des conditions similaires à l’accident de 1867. Seuls les élèves ont pu être dégagés à temps.

L’accès à la falunière fut interdit jusqu’au 24 mars 1988

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D’innombrables témoins

On peut cependant s’étonner que la nature ait rassemblé dans cet endroit unique une telle variété d’espèces fossiles, certains avancent le chiffre de 1200 espèces de coquilles (gastéropodes et bivalves), voire davantage, ces témoins de la vie étant miraculeusement conservés, leur nacre et coloration d’origine parfois encore visibles. Outre ces remarquables coquilles, on dénombre également 150 espèces de foraminifères (protozoaires marins), 35 espèces d’ostracodes (crustacés), 10 espèces d’algues calcaires, sans compter les madréporaires (coraux), les bryozoaires, les céphalopodes (seiches), les échinodermes (oursins), les otolithes de poissons et quelques dents de squales. Grignon est considéré comme un « point chaud » de la biodiversité.

Ces témoins de la vie qui se déroulait voici 42 millions d’années sont caractéristiques d’une mer tropicale, température évaluée à 25 degrés, peu agitée et peu profonde – entre 20 et 40 mètres seulement – Grignon se trouvant en bordure de la transgression du Lutétien, étage médian de l’Eocène, période appartenant à l’ère tertiaire.

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Une faune marine exceptionnelle

A Grignon on découvre une faune marine très riche qui progressivement devient lacustre, enregistrant la fermeture graduelle du Bassin de Paris suite au mouvement de bascule qui a soulevé l’Est et le Nord du Bassin de Paris au Lutétien moyen. Les différentes couches de sédiments se décryptent pour peu que l’on y prête attention. Les couches visibles au bas de la falunière, plus foncées, sont glauconieuses, la glauconie étant la preuve irréfutable du caractère marin du site. Les fossiles sont déposés sans ordre et sans orientation privilégiée et de nombreuses coquilles sont perforées, ce qui induit une accumulation après un transport relativement court, donc une mer calme.

Les espèces trouvées sont typiques des eaux chaudes tropicales et il est intéressant de comparer les fossiles découverts avec certaines espèces actuelles qui vivent aux antipodes, actuels « points chauds » de la diversité biologique (situés dans les mers tropicales de l’Océan Indien et de l’Océan Pacifique autour de la ligne Wallace). Leur similitude (Lamarck utilisait le terme ‘analogie’) et le fait qu’ils aient traversé plus de 40 millions d’années sans modification apparente laisse songeur.

Les recherches qui se poursuivent dans la falunière sont l’occasion de retrouver l’esprit qui animait les grands scientifiques, leur curiosité, et de poursuivre humblement et respectueusement leurs études.

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L’intérêt géologique de Grignon

L’intégralité d’une conférence donnée par Jacques Le Renard le 8 mars 1974 dans le cadre d’une réunion de la Société Versaillaise des Sciences Naturelles et retranscrite dans son bulletin de mars 1974 est reproduite ici, avec l’aimable autorisation de l’auteur : la mer de Grignon. Les sujets suivants y sont abordés : stratigraphie et paléogéographie de la falunière, la faune rencontrée, les conditions de vie, les espèces perforantes, les prédateurs, les modes de vie et …la beauté de certaines coquilles. Une nouvelle version remaniée la mer de Grignon version 2014 avec de splendides photos de Remi Coutin est disponible sur le site de l’Association des Naturalistes des Yvelines.

Processus de protection du site d’intérêt géologique du domaine de Grignon

Publié avec l’autorisation de l’auteur, l’article de Didier Merle rédigé en 2015 dans le cadre de la préparation du projet d’AGP (Arrêté de Protection de Géotope) proposé à la signature du Préfet des Yvelines ‘L’intérêt géologique du site de la falunière de Grignon‘.

Quelques articles publiés en 2016 dans la cadre de la défense de Grignon face à la menace de vente du domaine :

Allocution prononcée le 12 mars 2016 lors de la 2ème marche

Articles publiés sur le Blog du Collectif CFSG hébergé par Médiapart : l’Homme et la coquille,  Grignon terre sainte de la science, La recherche en paléontologie

Article de Didier Merle ‘L’Etat menace un patrimoine inestimable pour les générations futures‘ – 25 juin 2016

Article de Didier Merle paru dans la revue Fossiles ‘Grignon : terre sainte de la science paléontologique. Défendons là !

Article de Didier Merle paru dans la revue Géochronique n°141 de 2017 ‘du Koncentrat lagerstäte au point chaud de la biodiversité

Le 26 novembre 2015, le conseil scientifique régional du patrimoine naturel d’Ile-de-France (CSRPN) adopte la motion proposée par la commission régionale du patrimoine géologique (CRPG) concernant le patrimoine géologique du site de Grignon
(commune de Thiverval-Grignon, Yvelines).

La fiche de saisie de données à l’inventaire National du Patrimoine Géologique concernant ‘les sites du Lutétien dans l’enceinte du parc de Grignon (Thiverval-Grignon)
(Elise Auberger, Didier Merle et Jean-Pierre Gély le 09/02/2016) 

26 Novembre 2017 Dossier de présentation des sites d’intérêt géologique des Yvelines – Lutétien à Beynes et Grignon – par la Direction Régionale et Interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE) Île de France à destination du préfet des Yvelines en vue d’établir un Projet d’arrêté de protection de Géotope.

L’arrêté préfectoral de protection du site d’intérêt géologique du domaine de Grignon (26/05/ 2018)

 

Bibliographie:

Didier Merle : Stratotype Lutétien – Publications scientifiques du Museum

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Environnement géologique et coupes du site de Grignon

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La falunière de Grignon en 2007
La falunière de Grignon en 2007

L’environnement géologique de Grignon a été décrit pour la première fois en 1810 par Cuvier et Brogniart, puis par Stanislas Meunier en 1900 suivi de nombreuses autres réprésentations. 

Au fil du temps différentes coupes de la falunière de Grignon ont été proposées par les scientifiques (Cuvier et Brogniard, Abrard, Le Calvez et Le Renard, JP Gelly, Huyghe et al) et par certains membres du Club (H. Lapierre, JM. Garin, H.Dineur).

 

En 2012, Hervé Lapierre à positionné les recherches actuelles du club et proposé une synthèse globale des différentes coupes. 

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Composition du terrain et fossiles caractéristiques

La succession des assises lutétiennes de Grignon et leurs fossiles caractéristiques sont décrits niveau par niveau par René Abrard dans son essai de monographie stratigraphique « Le Lutétien du Bassin de Paris »– 1922

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1 – LUTETIEN INFERIEUR

– GRIGNON NIVEAU III

Ce niveau de base, en transgression sur le Sparnacien, est constitué d’une couche sableuse, glauconieuse, quelquefois un peu marneuse, jaunâtre, avec des grains de quartz nombreux et des galets noirs roulés.

– GRIGNON NIVEAU IV

Au-dessus du calcaire glauconieux, on trouve deux mètres environ d’un calcaire dur avec des parties meubles contenant de nombreux Echinides: Echinanthus issyavensis, echinolampas calvimontana, Pygorhynchus grignonensis. Cette faune est caractéristique d’une zone située à faible profondeur près du littoral. photo

2 – LUTETIEN MOYEN

– GRIGNON NIVEAU V

Le calcaire dur du niveau IV supporte 1,50 mètres de calcaire sableux jaunâtre piqueté de glauconie et endurci par plaque, contenant Ampullospira hybrida. ce niveau est peu fossilifère.

– GRIGNON NIVEAU VI

Les dépôts : cette couche d’une épaisseur de 1m à 1,5m, de calcaire sableux fauve, fin glauconnieux correspond au domaine infra-littoral supérieur ouvert. 

La faune : très riche à la base, elle indique un milieu marin tropical de faible profondeur (20m, dont la température avoisine 25°) et peu agité avec des herbiers où s’accumule un sable pulvérulent ou meuble qui a conservé une faune célèbre : cerithium, dont le célèbre Cerithium giganteum qui peut dépasser 70cm, turitella, voluta, murex, des gastéropodes carnivores (Natica), des polypiers libres

Sycum, Arca, Cardita,…. Cette faune est caractéristique de la région indo-pacifique actuelle.

On y rencontre aussi de nombreuses accumulations de débris transportés par l’action des courants.

– GRIGNON NIVEAU VII

Apparaissent les premiers indices de dessalure : les dépôts, constitués d’un calcaire sableux très blanc et assez dur, azoïque indiquent un domaine infra-littoral supérieur retreint.

– GRIGNON NIVEAU VIII

Les dépôts : la base de ce niveau est, caractéristique de fond sableux (blanc, très fin), tapissé d’herbiers correspondant au domaine infra-littoral supérieur ouvert marquant une importante transgression marine.

On note progressivement les signes d’une régression marine. Les dépôts sont alors constitués d’un sable calcaire blanchâtre de plus en plus marneux vers le sommet du niveau, signe du passage au domaine infra-littoral restreint.

La faune : la macrofaune très riche à la base du niveau est caractéristique d’un milieu marin peu profond, proche du littoral, mais plus agité et largement ouvert sur le large. L’orientation des coquilles et les variations tout à la fois de la densité des fossiles et de leur taille, peut laisser penser que l’on se situait à proximité de chenaux ou bien qu’il y a eu des changements importants dans la puissance des courants marins au cours de ces périodes.

Au sommet de ce niveau, le faciès calcaire présente une tendance lagunaire qui voit l’apparition d’une faune marine à dessalure avec peu de lamellibranches, de nombreux cérithes et petits foraminifères (Milioles, Orbitolites complanatus) vivant sur de grands herbiers de phanérogames.

*interprétation : rochers = murex, buccins = ? cryptochordes, cames = chama(s), limaçons = natices, ampullines, tonnes = casques, bonnet chinois = hipponyx ou calyptrées, poulettes = palourdes, boucardes = cardium

   

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