" La glossopètre, semblable à la langue de l’homme, ne s’engendre point, dit-on, dans la terre, mais tombe du ciel pendant les éclipses de lune ; elle est nécessaire à la sélénomantie ; mais nous avons été rendus incrédules par la vanité d’une promesse comme celle-ci, à savoir que cette pierre fait cesser les vents." Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, Livre 37 § 59
Jusqu’à la fin du XVIIème siècle, les dents de requin fossilisées, du fait de leur forme, ont été considérées comme des langues de serpent pétrifiées tombées du ciel pendant les éclipses de lune. On les appelées glossopètres (Du grec glôssa, langue et petra, pierre – langue en pierre)..
Des fouilles archéologiques dans le bassin méditerranéen démontrent leur usage (transport, échange, amulettes…) depuis le paléolithique supérieur.
On trouve une forte concentration de dents de requins (notamment Carcharodons) dans les sédiments du Miocène (-23,3Ma/-5,3MA) de l’île de Malte où des fouilles ont mis en évidence que ces dents furent récoltées depuis l’âge du cuivre (-6000 ans BP).
A ce propos, les Actes des Apôtres relatent le naufrage de St Paul sur les côtes de Malte lors de son voyage à Rome et sa morsure de serpent.
"Et après avoir été sauvés, alors nous avons appris que l'île s'appelait Malte. Et les autochtones usèrent d'une humanité peu ordinaire envers nous. Car ayant allumé un feu, ils nous reçurent tous à cause de la pluie qui tombait et à cause du froid."
"Or Paul ayant ramassé une quantité de branches sèches et les ayant mises sur le feu, une vipère sortit à cause de la chaleur et s'attacha à sa main. Et quand les autochtones virent la bête suspendue à sa main, ils se dirent les uns aux autres : " Assurément, cet homme est un meurtrier, puisque, après avoir été sauvé de la mer, Diké n'a pas permis qu'il vive."
"Et alors Paul, ayant secoué la bête dans le feu, n'en souffrit aucun mal. Mais eux s'attendaient à ce qu'il enfle ou tombe mort subitement. Après avoir longtemps attendu et ayant vu qu'il ne lui arrivait rien d'anormal, changeant d'avis, ils dirent qu'il était un dieu." Actes des Apôtres Chap 28 Traduction John Nelson DARBY
Une légende veut que saint Paul, priva alors de venin tous les serpents de l’île en transformant leur langue en pierre.
Ces dents bien connues des auteurs antiques (lingua melitensis : langue de Malte) étaient parées de nombreuses propriétés magiques et thérapeutiques : la croyance populaire leur attribuait un pouvoir antidote contre les venins de serpent et ultérieurement contre tous les poisons. On leur attribua également les pouvoirs de détecter les poisons : par crainte de l’empoisonnement, à la table des puissants, des glossopètres, parfois réduits en poudre, étaient placés dans les mets et boissons ou à proximité : leur changement de couleur ou… leur transpiration indiquait la présence de poison.
Pour en disposer facilement, ces langues étaient portées en amulettes ou suspendues à une pièce d’orfèvrerie en forme d’arbre nommée « languier ».
La véritable nature des glossopètres commence à être élucidée par Conrad Gesner « De rerum fossilium lapidum et gemmarum maxime » (1565). Sur la représentation de la page 163, s’il interprète correctement la dent figurée en A, en l’attribuant à un requin (cane carcharia § lamia), il attribue la dent figurée en C comme « la partie supérieure d’un bec de merle » même si, ajoute-t-il, elle » ressemble à une dent de requin « .
Fabio Colonna (1567-1640) démontre avec autorité et rigueur dans son traité « De glossopetris dissertatio » (1616) que les glossopètres sont des dents de requin fossiles. Il apporte la preuve scientifique de cette origine organique en calcinant des glossopètres « qui partent d’abord en charbon, avant de partir en chaux et en cendre », comme toute substance osseuse et carnée, contrairement aux substances pierreuses.
Au sein de l’Accademia dei Lincei, Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (1580-1637) adhère à cette théorie puisque dans une lettre à Holstenius (1637) il évoque « des dents […] de monstres marins comme ces glossopetrae ». L’interprétation de Fabio Colonna, tombera dans l’oubli et ne sera reprise par Nicolas Stenon qu’un demi-siècle plus tard.
Nicolas Stenon (1638-1686), est un brillant anatomiste et géologue danois, membre de l’Accademia dei Lincei (Rome). En octobre 1666, il est à Florence, comme anatomiste au service du grand-duc de Toscane, Ferdinand II de Médicis, grand mécène des arts et des science,s qui lui demande de disséquer la tête d’un requin blanc capturé à Livourne. Avec méthode il compare les dents du requin avec les glossopètres et constate leur similitude mais aussi leur différence de composition : les glossopètres ne sont pas « tombées du ciel par une éclipse de lune » mais sont des vrais dents de requins, restes d’organismes vivants morts il y a longtemps mêlés aux sédiments des fonds marins. « Canis carchariae dissectum caput » (1667).
L’essentiel est acquis et pourtant …
"La dent du carcharias ou celle d’un autre grand poisson, qui ayant resté dans la terre après la mort de l’animal, s’y est pétrifié et conservé en l’état où nous la voyons : il s’en rencontre pourtant assez souvent aux environs d’Angers, dans la terre, parmi les coquillages, et en plusieurs autres pays bien éloignés de la mer […] Cette dent pétrifiée est estimée propre contre les morsures des serpents, pour résister au venin […] Je n’ai point foi à ces qualités prétendues, mais je la crois un absorbant propre à adoucir les acides du corps." Nicolas Lemery "Traité universel des drogues simples" (1713)
JD mars 2021