Lors d’une entrevue pour essayer de définir le contenu d’une sortie en Auvergne, JP Roucan m’avait signalé l’existence d’une source de bitume au Puy de la Poix. Mais il n’en connaissait pas la localisation précise.
Intrigué, je me suis lancé dans quelques recherches et j’ai trouvé des informations complémentaires sur le site Internet « planet-terre* » qui propose un article pédagogique de Pierre Thomas sur le puy de la Poix, ainsi que sur le site Internet de la ville de Clermont Ferrand qui propose une courte vidéo tournée in situ et commentée par le géologue / hydrologue JP Couturier et enfin dans les Annales Scientifiques, Littéraires et Industrielles de l’Auvergne datées de 1846, éditées par le naturaliste auvergnat Henri Lecocq et …numérisées par Google.
En fait le puy de la Poix n’a plus d’existence topographique depuis 1930 date à laquelle il figurait encore sur la carte d’état major au 1/80000.
S’il n’a plus d’existence topographique, le puy de la Poix existe encore: c’est une petite butte, trace d’un ancien petit volcan, située à 435m d’altitude, dans la banlieue Est de Clermont Ferrand. Le puy domine de 10/12m son environnement immédiat: les autoroutes A71 Paris-Millau et A72 Clermont-Lyon, le bout des pistes de l’aéroport d’Aulnat, une zone industrielle et un campement de gens du voyage.
Site miraculeusement préservé mais pas entretenu: de nombreux déchets jonchent le sol.
Muni de la précieuse localisation indiquée sur le site « planet-terre », je pars en reconnaissance un dimanche pluvieux, très pluvieux de fin mai 2008. Après quelques tours et détours et quelques ronds dans l’eau je découvre ce petit monticule noyé sous la végétation, les détritus… et la pluie; sur le flanc Nord une mare de 2m de diamètre à 1m de profondeur et, sur une quinzaine de mètres, un petit fossé d’écoulement. Une surface noire, parsemée de quelques plaques blanchâtres et jaunâtres, couverte d’eau et de bulles (mais pas seulement les bulles provoquées par la pluie qui tombe averse !). Voilà le Puy de la Poix. Le site n’a rien de ragoûtant; après un rapide tour d’horizon la tentation est de faire rapidement un prélèvement et d’aller se remettre à l’abri. Prélèvement? La mare est en contrebas, la pente herbeuse est raide et glissante. Une perche en bois est plantée au milieu de la mare. Il faut se pencher pour en attraper l’extrémité – la consistance du fond de la mare que l’on devine visqueuse et tenace n’incite pas à l’imprudence – Ca y est je la tiens! Il va suffire de racler le fond, de touiller un peu et de l’extraire pour procéder à la récolte. Manifestement cette perche est destinée à cet usage! Fichtre! Il y a de la résistance! La perche est figée, prisonnière du bitume. A force d’efforts, la perche commence à bouger et progressivement elle cède. J’ai alors accès à la confiture convoitée qui enduit le bout de la perche sur 30cm. Avec un couteau j’extrait difficilement de grands lambeaux de bitume que je canalise vers un pot.… de confiture.
Un menhir encore visible à quelques mètres de la source de bitume avergnate, renversé probablement par les allemands pendant la seconde guerre pour installer au sommet du puy une batterie de DCA, atteste de la fréquentation du lieu dès l’âge du bronze. Il semblerait que Charles IX (1550-1574), passant en Auvergne voir son ami Michel de l’Hospital, demanda à voir le Puy de la Poix En 1846, les Annales Scientifiques, Littéraires et Industrielles de l’Auvergne décrivent le site en ces termes: « Les hydrocarbures issus de la décomposition organique remontent en suivant les filons et/ou cheminées volcaniques qui percent la pile sédimentaire. C’est le cas au Puy de la Poix, qui correspond à un mini volcan pépéritique. C’est la source d’hydrocarbures la plus significative d’Auvergne avec un débit d’environ 1 litre par jour exploitée déjà du temps des gallo romains pour le calfatage des bateaux… » La pellicule blanchâtre qui affleure sur le bitume est constituée de sel car la source d’eau concomitante, qui a traversé des couches de sel gemme est 3 fois plus salée que l’eau de mer (entre 70 et 100 gr de Nacl par litre). La pellicule jaunâtre atteste de la présence de soufre. Quelques grosses bulles explosées par les gouttes de pluie libèrent du H2S; cela correspond, en plus de l’odeur de goudron, à la forte odeur d’œuf pourri qui flotte sur l’endroit. En effet en profondeur des bactéries se nourrissant de bitume consomment l’oxygène des sulfates, ce qui génère du H2S.
Mais éloignons-nous un instant de ces odeurs nauséabondes pour évoquer quelques péripéties de l’histoire du bitume depuis l’antiquité à nos jours. Les écrits sont nombreux sur le bitume et sa lente domestication par les hommes. De l’Ancien Testament à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, en passant par Hérodote et Voltaire, le bitume est évoqué dans ses différentes localisations – Mer Morte, mer Caspienne, Italie, Suisse, Alsace… – et ses différents usages en cosmétique et en pharmacologie sous forme de bains, de boissons, de baumes ou d’onguents. Ses propriétés de « liant » sont mises à profit dans de nombreuses activités artisanales telles que le terrassement à Babylone, le calfatage des navires par l’ensemble des peuples méditerranéens ou la poterie.
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Le » bitume de Judée » qui provient de la mer Morte aussi appelée « lac Asphaltide** » est déjà signalé dans l’Ancien Testament: il sert à calfater l’Arche de Noé… et le berceau de Moïse. Certains auteurs avancent même l’hypothèse qu’il aurait également servi de combustible lors l’incendie de Sodome*** et Gomorrhe.
Cette « gomme de funérailles et de momie » est utilisée par les Egyptiens pour embaumer les corps. En 1627, par lettre royale, est autorisée l’exploitation commerciale d’une source qui, à Merchwiller-Pechelbronn, près de Haguenau dans le nord de l’Alsace, produisait une « huile de pierre » réputée depuis longtemps pour ses propriétés thérapeutiques.
En 1741 fut constituée la première société pétrolière de l’histoire, la Société Alsacienne d’Exploitation Minière de Pechelbronn ( terme allemand qui signifie « source de bitume »). La SAEM prévoit d’exploiter à côté de la source une veine de sable bitumineux dont on tirait une graisse apte à remplacer le « vieux oing » et le suif. Les activités d’extraction et de raffinage de la SAEM ne cesseront qu’en 1955 au moment de la découverte des gisements de gaz et de pétrole brut en Algérie.
En 1751, Diderot consacre un article de son Encyclopédie à ce gisement de bitume alsacien qui permit, entre autres, la réparation des bassins de Versailles
Le roi Louis XV, conscient de l’intérêt de cette exploitation, la confia par lettre patente du 5 août 1772 à un certain Le Bel. Cette société créera Antar en 1927.
Le « bitume de Judée » entre dans la composition des produits qu’utilise Nicéphore Niepce, quand il invente la photographie à Saint Loup de Varenne (71) en 1824. Il a au préalable constaté que, sous l’action de la lumière, le bitume devient insoluble dans les solvants qu’il utilise couramment, en particulier l’essence de lavande. En 1822 il exploite cette photosensibilité du bitume dans un procédé qui restera longtemps la base de la photogravure: sa première reproduction d’un dessin placé en contact avec un support enduit de bitume est le portrait du pape Pie VII. Et en 1824 une plaque de verre enduite de bitume fixe au fond d’une chambre obscure la première photographie….
Les usages contemporains du bitume sont encore multiples: de la fabrication des micro/nano circuits électroniques à l’indispensable création d’un réseau routier adapté à la révolution automobile …..
Mais revenons au Puy de la Poix: différentes tentatives de protection du site ont été entreprises jusqu’à la fin du XIX siècle. Force est de constater qu’elles ont toutes échoué. Le site est tombé dans l’oubli et la déchéance; aujourd’hui c’est une friche cernée par l’urbanisation et les voies de communication. Le menhir en granit ( il n’est donc pas un produit local! ) est à terre, enfoui sous la végétation.
Le site Internet « planet terre » signale une autre source de bitume dont le sort a davantage préoccupé les géologues: » Aujourd’hui, non loin de Los Angeles (USA) on a trouvé dans des accumulations de bitume naturel résultant du suintement de pétrole, des ossements de nombreux animaux herbivores et de l’ordre d’un millier de restes de smilodons (tigres aux canines proéminentes vivant au Pléistocène) à côté de plus de mille cinq cents loups. Ces carnivores attirés par la présence des proies engluées dans ce piège naturel, furent à leur tour prisonniers du bitume collant et visqueux. Une datation de ces restes montre qu’une partie de ces animaux vivaient il y a quinze mille ans. Autour de ce site a été aménagé un parc d’attraction. Le bitume s’épanche dans un lac crée à cet effet… »
Sans prétendre rivaliser avec son homologue californien, le puy de la Poix mérite cependant bien une petite réhabilitation….
16 juin 2008
jacques dillon
club géologique la poste et france telecom en IdF